Livre Voyage en 4X4 ( en recherche d’éditeur )
Avant-propos de Didier Decoin de l’Académie Goncourt
D’une créature ondulante et rampante, velue, munie de pattes allant par paires, équipée de mandibules terribles lui servant d’outils de broyage et d’armes effarantes, le miracle de la métamorphose finit par faire un petit être aérien incomparablement gracile et fragile, enluminé des couleurs délicates que portent ses ailes se répondant l’une à l’autre comme jardins en miroirs – ou comme Narcisse séduit par le reflet de sa propre splendeur.
Au terme de ses transformations, la forme définitive de l'insecte ainsi devenu à la fois adulte et sexué est dite imago, mot probablement issu du latin imitor (représenter, copier), et d’où la langue française a tiré image.
Le mot image est donc en double résonance avec l’idée de représentation et celle de concordance.
Mais peut-être aussi de dissemblance dans la ressemblance.
Car l'image n’est pas forcément la progéniture obéissante et docile du nerf optique : elle peut être tout aussi bien fille de l’imagination, être un visible qui donne à en voir un autre.
Et voilà précisément, me semble-t-il, où se situe la démarche de Catherine Gautier : ses compositions photographiques représentent des espaces, des constructions, des éléments objectifs du monde humain, non pas tels qu’ils sont mais tels qu’ils se révèlent selon le point de vue de l’observateur qui les imagine – c’est-à-dire qui les met en image comme on met en scène ou en musique.
A l’inverse du photographe dont l’ambition est d’approcher de toujours plus près la reproduction de la réalité, Catherine Gautier s’éloigne – nous éloigne, et comment ne pas nous laisser séduire par cette occasion d’une échappée belle ? – de la reproduction matérielle pour nous basculer dans la représentation mentale : ce n’est pas la réalité du monde qu’il faut chercher dans les photos de Catherine Gautier, mais son autrement-dit.
Photographier ce qui existe pour révéler ce qui n’existe pas mais qui s’y trouve néanmoins enclos comme la fleur dans le bourgeon, voilà sa quête. Elle m’évoque l’ambiguïté de l’arc-en-ciel : lui non plus n’existe pas, mais il donne l’illusion parfaite d’être réel grâce au jeu de l’infinie multiplication des reflets du soleil dans les gouttelettes d’eau d’une nuée – car il ne faut pas moins d’une étoile et d’une larme de nuage pour faire un arc-en-ciel…
Si Catherine Gautier fuit les cantons du visible, c’est pour les rendre autrement lisibles – je veux dire poétiquement lisibles. Elle en fait une féerie bigarrée, une sorte de déconcertant mundus enfantin, un inextricable fouillis de magasin de jouets, avec ses «formes bizarres et ses couleurs disparates».
Un peu somnambule, un peu funambule, Catherine Gautier semble vouloir nous convaincre que voir, c’est rêver.
Et que ses images peuvent aussi contribuer, en nous déroutant, à nous ramener joyeusement dans l’imaginaire – notre vraie patrie, après tout !